Narratives about the former Yugoslavia and Rwanda. From war testimony to the issues of a fictional shift

L’ex-Yougoslavie et le Rwanda en récit. Du témoignage des conflits aux enjeux d’un déplacement fictionnel
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2014 - 2017 (afgewerkt)
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Abstract

Our dissertation focuses on a two-part literary corpus. The first group contains four novels dedicated to the wars of the collapse of Yugoslavia in the 1990s. Created either by French journalists or by exiles from the former Yugoslavia, these texts include: Jean Hatzfeld’s Robert Mitchum ne revient pas (2013), Étienne de Montety’s La route du salut (2013), Saša Stanišić’s Le soldat et le gramophone (2008) (original title: Wie der Soldat das Grammofon repariert) and Dubravka Ugrešić’s Le ministère de la douleur (2008) (Ministarstvo boli). For its part, the second group consists of five literary works on the massacres of the Rwandan genocide which took place in 1994. Produced by African, French or Belgian writers, these include: Tierno Monenembo’s L’aîné des orphelins (2000), A. Waberi’s Moisson de crânes: textes pour le Rwanda (2000), Boubacar Boris Diop’s Murambi: le livre des ossements (2000), Véronique Tadjo’s L’ombre d’Imana: voyages jusqu’au bout du Rwanda (2000) and Huguette de Broqueville’s Uraho? Es-tu toujours vivant (1997).

It seems there is no justification for linking the context of the wars in the former Yugoslavia with the events of Rwanda. Additionally, in both cases the writers who have sought to bear witness to these conflict with their pen all come from very different backgrounds. But whether knowingly or unknowingly, all of them did seize a central issue of these recent conflicts, beyond the horror of what happened: their ambivalent nature, the fact they reflect heterogeneous, uncertain and sometimes contradictory realities. While resorting to a kind of History that is closely interwoven with a porous present time, the authors have thus imagined some forms of ‘exteriority’ that play on these possible variations, bringing them into existence. They created literary scenes that are at odds with the events of the war or the genocide they refer to. For example, Hatzfeld raises in his book Robert Mitchum ne revient pas the issue of a sports competition taking place in the midst of the siege of Sarajevo. Through the Olympic paradigm, a supranational space arises. It conflicts with the national logic of war in Bosnia. In this way, the face of war changes.

By using the tools of rhetoric and their application to fictional narrative, we propose to question the implications of these narrative shifts away from the conflicts reality, whether in its political, media, cultural or even economic relevance (as it happens with Ugrešić). If most of the writers want to fight what these violent realities involve, we shall see that the literary answers they bring have sometimes a contradictory nature. Indeed, they can revive the same logical patterns that they criticize elsewhere. Despite everything, these narratives help us better understand the place occupied by fiction in our societies, whether the authors choose to focus on utopia or demystification. Basically, it is always about changing the dispositions of an otherwise essentially fictional reality. Thus, it may be possible to escape the return of the same, a continuous collapse of which we are all witnesses.

Notre étude se fonde sur un corpus littéraire en deux volets. Le premier volet comporte quatre récits consacrés aux guerres issues de l’effondrement de la Yougoslavie dans les années 1990. Ces textes, réalisés tantôt par des journalistes français, tantôt par d’exilés (ex-)yougoslaves, sont : Robert Mitchum ne revient pas de Jean Hatzfeld (2013), La route du salut d’Étienne de Montety (2013), Le soldat et le gramophone (Wie der Soldat das Grammofon repariert) de Saša Stanišić (2008), Le ministère de la douleur (Ministarstvo boli) de Dubravka Ugrešić (2008). Pour sa part, le second volet comprend cinq œuvres dévolues aux événements du génocide rwandais de 1994. Ces textes, d’Afrique, de France ou de Belgique, sont : L’aîné des orphelins de Tierno Monénembo (2000), Moisson de crânes : textes pour le Rwanda d’Abdourahman A. Waberi (2000), Murambi : le livre des ossements de Boubacar Boris Diop (2000), L’ombre d’Imana : voyages jusqu’au bout du Rwanda de Véronique Tadjo (2000) et enfin Uraho ? Es-tu toujours vivant d’Huguette de Broqueville (1997).

Rien ne permet a priori de justifier le rapprochement des événements meurtriers survenus en ex-Yougoslavie avec ceux du Rwanda. D’ailleurs, que ce soit pour le Rwanda, la guerre de Bosnie-Herzégovine ou de Croatie, les écrivains et les écrivaines qui ont cherché à témoigner, par la littérature, de ces conflits s’inscrivent dans des contextes forts distincts les uns des autres. Mais tous ont saisi, consciemment ou non, une dimension essentielle de ces conflits récents, au-delà de l’horreur : leur ambivalence, le fait qu’ils répercutent des réalités hétérogènes, incertaines et parfois contradictoires. Tirant parti d’une Histoire qui ne se détache jamais entièrement d’une actualité poreuse, les auteurs ont ainsi imaginé des formes d’extériorité faisant exister – jouer – ces divergences ; ils ont conçu des mises en scènes en porte-à-faux par rapport aux événements de la guerre ou du génocide auxquels ils se réfèrent. Par exemple, Hatzfeld, dans Robert Mitchum ne revient pas, replace les enjeux d’une compétition sportive au cœur du siège de Sarajevo. À travers le paradigme olympique, s’esquisse un espace supranational qui entre en conflit avec la logique nationale de la guerre en Bosnie. La guerre acquiert par là de nouveaux contours.

À l’aide des outils de la rhétorique appliquée au récit fictionnel, nous interrogeons les implications de ces déplacements narratifs vis-à-vis des conflits, que ce soit dans leur actualité politique, médiatique, culturelle ou même économique (en l’occurrence, chez Ugrešić). Nous verrons que si, bien souvent, les écrivains cherchent à résister à ce que ces réalités violentes mettent en jeu, les réponses qu’ils apportent sont parfois contradictoires. Il leur arrive en effet de renouer avec les mêmes logiques qu’ils dénoncent. Malgré tout, entre utopie et démystification, ces récits permettent de mieux comprendre la place occupée par la fiction dans nos sociétés. Au fond, il est toujours question de changer les pièces d’un réel par ailleurs essentiellement fictionnel, afin d’échapper, éventuellement, au retour du même, cet écroulement continu dont nous sommes tous témoins.

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